La saga Pizza Sprint / Domino’s Pizza continue
- Maître Chelly Szulman
- 19 mars 2023
- 5 min de lecture
Par un arrêt du 8 février 2023, la Cour d’appel de Paris est à nouveau entrée en voie de condamnation à l’encontre du Franchiseur, la société Fra-ma-pizz, sa centrale d’achat, et la société Domino’s Pizza, son actionnaire dans le cadre d’un litige qui l’opposait à un ancien franchisé.
On se souvient que Domino’s Pizza avait racheté le réseau Pizza Sprint, exploité par la société Fra-ma-pizz et qu’à la suite de cette opération, certains franchisés Pizza Sprint avaient refusé de signer un nouveau contrat de franchise sous l’enseigne Dominos Pizza.
Tenus d’une part par des contrats à durée déterminée de 10 ans et par une clause intuitu personnae non réciproque, les franchisés étaient privés de la possibilité de rompre de façon anticipée leur contrat de franchise, sans s’exposer au paiement de pénalités de résiliation anticipée. Lesdits franchisés se trouvaient donc contraints de poursuivre leur contrat de franchise sous l’enseigne Pizza Sprint, repris par leur principal concurrent Domino’s Pizza.
Sans grande surprise, les relations se sont rapidement dégradées entre le franchiseur et les franchisés.
A la suite d’une enquête menée par la DGCCRF, sur les relations entre les partenaires du réseau Pizza Sprint repris par Dominos’Pizza, le ministère de l’économie saisissait le Tribunal de Commerce de Rennes. Ledit Tribunal, puis la Cour d’Appel de Paris (CA Paris, pôle 5, ch. 4, 5 janv. 2022, n° 20/00737) entraient en voie de condamnation, prononçant notamment une amende de 500.000 € à l’encontre de la société Fra-ma-pizz pour pratique restrictive de concurrence.
La Cour ordonnait également la nullité de la clause intuitu personnae « , en ce qu'elle permet au franchiseur de décider de la fin anticipée du contrat de franchise sans frais pour tout projet ayant une 'incidence' sur la répartition actuelle du capital ou de celui du principal actionnaire, ou dans l'identité des dirigeants du franchisé, et en ce qu'elle ne prévoit pas de réciprocité pour le franchisé, crée un déséquilibre significatif entre les droits du franchiseur et les obligations du franchisé ». Les clauses relatives aux modalités de résiliation et de cession étaient également annulées pour déséquilibre significatif.
Un pourvoi a été initié à l’encontre de cet arrêt auprès de la Cour de cassation.
Dans cette espèce du 8 février, il s’agissait pour la Cour de trancher le litige qui opposait un franchisé à son franchiseur, la centrale d’achat et la société Domino’s Pizza.
Le franchisé prétendait tout d’abord que son consentement avait été vicié en raison d’une rentabilité largement inférieure à celle promise par le franchiseur.
A cette occasion, la Cour rappelle à juste titre que la durée de prescription d’une action en nullité d’un contrat est de 5 ans, et que ce délai commence à courir à compter de la conclusion du contrat en application de l’article L110-4 du Code de commerce.
Toutefois, bien que ce délai de 5 ans était expiré, la Cour d’Appel de Paris déclarait recevable l’action en nullité du franchisé. La Cour acceptait en effet de reporter le point de départ du délai de prescription au motif que la rentabilité d’un concept ne pouvait s’apprécier qu’au cours de l’exécution du contrat. Il sera toutefois fait observer qu’en l’espèce le franchisé avait agi au cours de la 5ème année, donc peu après l’expiration dudit délai.
Le Franchisé sera néanmoins débouté de sa demande de nullité, faute de parvenir à rapporter la preuve d’un vice de consentement.
Cette décision, conforme à l’état du droit actuel met en évidence la difficulté pour le franchisé de prouver d’une part que les données financières ayant servi à l’établissement de son prévisionnel provenaient de son franchiseur et d’autre part que ces données aient été de nature à vicier son consentement.
On ne saurait que trop rappeler aux franchisés de veiller à se ménager la preuve par tous moyens des modalités d’établissement de leurs prévisionnels.
En outre, la Cour jugeait que la nullité des clauses intuitu personae et de résiliation du contrat de franchise, ordonnée par la Cour d’Appel de Paris le 5 janvier 2022 n’était pas de nature à vider le contrat de sa substance. Le contrat pouvait subsister sans ces clauses, de sorte que la nullité du contrat ne pouvait être prononcée sur ce fondement.
La Cour va cependant entrer en voie de condamnation à l’encontre du franchiseur.
Le premier grief retenu par la Cour avait trait à l’obligation d’approvisionnement exclusif. En dépit d’une clause d’approvisionnement n’emportant pas de critique, le franchiseur avait instauré une pratique visant à contraindre les franchisés à s’approvisionner de façon exclusive auprès de sa centrale d’achat.
Or, la Cour relevait que :
- les produits sélectionnés par le franchiseur ne présentaient pas de spécificité au regard du savoir-faire et ne répondaient pas à des critères de qualité ou de sécurité particulier ;
- le franchisé était astreint à des commandes minimales ;
- le franchiseur était seul destinataire des remises commerciales négociées ;
- les prix pratiqués étaient plus élevés que ceux d’autres acteurs équivalents sur le marché ;
- les ratios de marges étaient substantiellement supérieures à celles réalisées par des entreprises intervenant dans le même secteur ;
- le système informatique ne permettait pas au franchisé d’établir ses prix.
Elle en déduisait que cette stratégie d’approvisionnement exclusif ou quasi-exclusif permettait au franchiseur de générer une rentabilité certaine, sans permettre au franchisé d’en tirer un avantage concurrentiel, caractérisant ainsi une pratique restrictive de concurrence créant un déséquilibre significatif entre les droits du franchiseur et les obligations des franchisés au sens de l’article L442-6-1-2 du Code de commerce.
En outre, la Cour considérait que ces agissements étaient constitutifs d’une exécution déloyale du contrat de franchise commise de concert avec la société d’approvisionnement exclusif.
Ensuite, la Cour reproche au franchiseur de ne pas avoir actualisé son savoir-faire. En dépit des actions marketing, d’un programme de fidélisation et d’un site internet, la Cour relevait :
- une défaillance de l’assistance commerciale et technique ;
- l’absence d’évolution du site internet et des méthodes commerciales,
- défaut de développement d’une application des commandes en ligne utilisable sur téléphone portable.
C’est notamment par comparaison avec les avantages dont bénéficiaient les franchisés Dominos, dont étaient exclus les franchisés Pizza Sprint que la Cour en déduisait un manquement du franchiseur.
Les franchisés dénonçaient le fait pour le franchiseur de laisser sciemment péricliter le réseau Pizza Sprint aux fins de les contraindre à passer sous l’enseigne Dominos Pizza.
Selon la Cour, ces manquements étaient suffisamment graves pour justifier la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs du franchiseur et pour condamner ce dernier au paiement de dommages et intérêts.
Enfin, la Cour souligne que la stratégie de développement de Domino’s Pizza, telle qu’exposée sur sa documentation financière, a contribué aux manquements du franchiseur, Fra-ma-pizz, engageant sa responsabilité extracontractuelle. Elle en déduit que l’actionnaire Dominos Pizza ayant agi de concert avec le franchiseur, et la centrale d’achat devait être condamné in solidum à réparer l’ensemble des préjudices subis par le franchisé.
C’est pourquoi, les sociétés Fra-Ma-Pizz, en sa qualité de franchiseur, sa centrale d’achat et Domino’s Pizza, son actionnaire étaient condamnés in solidum au paiement de divers préjudices et au remboursement partiel de redevances.
La Cour semble vouloir mettre au premier plan un rééquilibrage du rapport de force qui existe entre le franchiseur et le franchisé. Néanmoins, on pourra regretter les niveaux relativement faibles des dommages et intérêts octroyés au franchisé.
CA Paris, Pole 5 Chambre 4, 8 février 2023 n°20/01748
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